Trump, nouvelle frayeur pour l’Europe
On se raccroche à l’idée qu’il serait en difficulté, moins populaire, peut-être empêché par les ennuis judiciaires.
On se raccroche à l’idée qu’il serait en difficulté, moins populaire, peut-être empêché par les ennuis judiciaires. On veut croire qu’un Ron DeSantis pourrait être l’alternative acceptable, la figure raisonnable du trumpisme. Lui serait extrémiste, mais pas fou. On se réjouit naïvement de la candidature de la flamboyante Nikki Haley, l’ancienne ambassadrice à l’ONU. Tout cela pour nous exorciser du monstre. On se rassure comme on peut. Mais nous n’avons pas à nous sentir bêtes d’espérer le meilleur.
Trump est de retour. Mais avait-il vraiment disparu ? Moins visible sur les réseaux sociaux, moins présent à la télévision, client agacé de la chronique judiciaire, le voilà qui déboule dans la campagne électorale. Instigateur d’un effrayant assaut contre le Capitole, mettant à mal l’exercice démocratique par sa mauvaise foi et son refus obtus de reconnaître la défaite, Donald Trump n’en est pas moins un candidat redoutable pour la présidentielle de novembre 2024.
l n’a pas la partie gagnée. Mais il ralliera des foules. Il reste populaire comme l’a montré il y a quelques jours le CPAC, la convention annuelle des conservateurs. Aujourd’hui, il mène la course en tête chez les Républicains. Surtout, Trump est l’inventeur du trumpisme, interprétation très personnelle du populisme.
Le mouvement s’est inscrit dans la durée. Il se nourrit de la méfiance envers les élites, il se conforte dans les théories complotistes, il accepte volontiers les fausses informations, ne serait-ce que par bravade, et pour désespérer les sachants. Les partisans MAGA (Make America Great Again) vont compter, et ils adorent Trump.
Le vieux Joe pourra-t-il résister ? L’opinion lui rendra-t-il justice de son bilan ?
L’élection présidentielle américaine de novembre est ainsi un nouveau test pour la démocratie. Le vieux Joe pourra-t-il résister ? L’opinion lui rendra-t-il justice de son bilan ? Pas si mauvais, plus flatteur que celui d’Obama, osent certains. Lui reprochera-t-on son âge ? Car s’il doit à nouveau faire face à Donald Trump, ce sont toutes ces questions qui lui seront posées.
Un automne crucial pour les États-Unis, et un enjeu décisif pour l’Europe aussi. Donald Trump veut cesser tout soutien à l’Ukraine. Il est prêt à l’abandonner à son destin, il juge que l’indépendance de ce pays lointain ne présente pas beaucoup d’intérêt. Le régime fort d’un Poutine le fascine davantage. L’élection présidentielle sera donc décisive pour l’avenir de l’Ukraine, et plus généralement pour l’Europe, qui pourrait se retrouver contrainte à nouveau à voir le continent occupé, comme au temps les plus tristes du « bloc soviétique ».
« Avec moi, l’affaire serait réglée en moins de vingt-quatre heures », a dit Trump, bravache, évoquant la guerre en Europe, jouant sur la peur distillée en continu par Moscou, et de plus en plus véhiculée chez ceux qui abandonnent l’Ukraine, sous couvert de bons sentiments.
L’Amérique devra décider si elle souhaite une nouvelle ère de cris et de fureurs, ou si elle s’accommode d’un père tranquille. L’Europe, elle, regardera avec effroi une partie de son sort se jouer là-bas.
10 mars 2023
Joe l’éveillé
Le sobriquet l’avait cloué au tableau, une fois pour toutes. Lancé par Trump, repris par tout le monde, répété à l’envi. « Sleepy Joe » était ce grand-père étourdi qu’on aime bien, mais à qui on demande de ne pas conduire la voiture, redoutant de subites somnolences. Mais Joe Biden le président ne cesse d’étonner, de surprendre, de convaincre, de réussir aussi. Effaçant l’image, trop vite adoptée, de l’endormi.
C’est que le président n’entre pas dans la nomenclature connue des présidents américains. Il n’est pas un charmeur, ni un orateur charismatique, ni un histrion grossier. Et si l’on remonte à plus loin, il n’est pas davantage le vilain roublard, encore moins bien sûr le jeune fringant. Il susurre plus qu’il ne parle. Les mots s’échappent de lui, en désordre. Il confond, il oublie, il gaffe. Il élève la voix, et on ne l’entend pas. Il s’avance, et il vacille. Il tomberait que nous n’en serions pas surpris. Rien qui ne puisse séduire Washington, ou Hollywood.
Ce n’est pas l’heure du bilan. Mais il y a déjà pas mal de choses à poser sur la balance. Biden a réussi à convaincre le Congrès d’investir des milliards dans un plan de relance qui comprend un imposant programme vert. Il a su gérer avec sang-froid le Covid, lutter efficacement contre l’inflation. Il est venu opportunément en aide aux familles. Il a obtenu les meilleurs résultats d’un président démocrate depuis les années trente dans une élection des midterms. Il a conforté sa majorité au Sénat, alors qu’on lui promettait une débandade historique.
Il y a quelques jours encore, les Européens ont pu compter sur lui. Donnant son accord à la livraison des chars Abrahms, contre l’avis du Pentagone, il a facilité ainsi la décision de l’Allemagne, et sauvegardé l’unité de la coalition contre la Russie. Sans lui, et son soutien indéfectible, l’Ukraine serait sans doute aujourd’hui sous le joug russe.
Le « has been » aurait-il encore un avenir ? L’homme du passé serait-il le meilleur candidat du futur ?
Il ne lui resterait plus qu’à « guérir l’Amérique », la réconcilier, lui faire passer la colère qui habite et divise le pays. Mais cela prendrait plus de temps, et c’est une tâche qu’un président ne peut réussir à lui seul.
En réalité, Joe Biden est un politicien d’expérience, un négociateur madré, que l’âge, les hésitations, et la méchanceté aussi, nous avaient fait oublier. Nous nous en sommes tenus aux apparences. Nous avons été paresseux. Nous l’avons sous-estimé.
Fort de ses succès, le vieux Biden se prend à rêver, et se dit qu’il n’est peut-être pas si vieux, et qu’il est le seul à empêcher Trump de reprendre le bureau ovale. Le « has been » aurait-il encore un avenir ? L’homme du passé serait-il le meilleur candidat du futur ? Certains jugent qu’il a déjà accompli davantage qu’Obama en deux mandats. Il aurait donc le droit de se reposer. Mais « Sleepy Joe » n’a pas du tout envie de dormir. Il est bien éveillé. Il voudrait reprendre le volant, et poursuivre sa route.
Désir de démocratie
Le début d’année renouvelle la magie. Celle qui nous incite à croire que tout est à nouveau possible. Et que nos rêves les plus chers pourraient se réaliser, enfin. Curieux comme les passages de millénaire suscitent l’angoisse et la crainte des plus grands malheurs, alors que les Nouvel An véhiculent, eux, invariablement des promesses de bonheur. Mieux vaut que cela soit ainsi.
En réalité, tout finit, et tout recommence. L’Ukraine sera bien à nouveau au centre de l’attention géopolitique en 2023. Non que nous soyons là obnubilés sans raison. La guerre en Ukraine a révélé des enjeux que nous ne discernions pas. Le risque de la dépendance énergétique, le besoin d’une Europe unie plus que jamais, l’éloignement de l’Afrique et d’une bonne partie du Sud, la faiblesse de nos systèmes de sécurité, l’illusion de la paix perpétuelle.
L’invasion du 24 février fut un choc et une révélation. Une apocalypse : le début de la calamité, et un dévoilement. « Il faut toujours que des millions d’heures oisives s’écoulent dans le monde avant que n’apparaisse une heure d’une réelle importance historique », disait Stefan Zweig. Le 24 février 2022 en fait partie.
L’Ukraine va-t-elle tenir ? Le pays paie un tribut de plus en plus lourd. La population civile est prise comme cible directe. Elle est victime de crimes de guerre. Le courage et la volonté qu’elle a manifestés ces derniers mois laissent penser qu’elle n’est pas près de céder. Et le pari de Poutine de priver les Ukrainiens d’eau et d’électricité n’a pas réussi à les abattre. L’opinion publique en Europe semble plus fluctuante. Le coût de la vie et la peur des coupures d’électricité effraient les Européens. Un coup de froid et un rhume pourraient vite les faire craquer. Poutine y compte bien.
Les alliés continueront-ils à soutenir l’Ukraine ? Les décisions des dernières semaines tendent à le prouver. L’aide américaine ne faiblit pas, au contraire, elle augmente en puissance. L’arrivée majoritaire des Républicains à la Chambre des représentants ne change pas la donne. La France, elle, va livrer des chars. La guerre sera longue. On nous prédit le gel du front, mais cette guerre nous a déjà surpris par des développements inattendus. Qui sait ce que le Kremlin nous réserve encore ? Nous apprenons la guerre hybride.
“Ce qui se joue en Ukraine, c’est son indépendance, mais c’est aussi le sort de la démocratie en Europe”.
Une année 2023 où les questions demeurent nombreuses, les réponses difficiles, les meilleurs vœux incertains. Poutine va-t-il pouvoir se maintenir au pouvoir ? Même s’il ne faut pas s’illusionner sur celui qui le remplacerait. Les sanctions vont-elles produire plus d’effets ? Les avis sont partagés.
Ce qui se joue en Ukraine, c’est son indépendance, mais c’est aussi le sort de la démocratie en Europe. L’enjeu est crucial, même si beaucoup ne voient dans cette guerre que l’affrontement stratégique de deux mondes et la défense d’intérêts économiques. Ils se perdent dans la quête stérile des responsabilités passées et des actes manqués, ils oublient que le destin des Ukrainiens est ce qui importe avant tout.
Une démocratie chahutée en ce début d’année au Brésil, comme elle le fut au début de l’année dernière à Washington. Mais on voit aussi des autocrates contestés, ou en mauvaise posture, en Iran, en Chine, en Russie, voire en Turquie.
On se surprend à faire des vœux, malgré tout, à imaginer le meilleur, à rêver, et cela fait du bien.
La grimace joyeuse du joker
Elon Musk est cet ado farceur et cruel, qui rit, et qui pleure. Un ange souvent, et un tueur, parfois. Il est aussi un peu le Joker, s’amusant du ramdam qu’il suscite, mais exécutant un plan précis que l’on découvrira bien assez tôt.
Elon Musk est cet ado farceur et cruel, qui rit, et qui pleure. Un ange souvent, et un tueur, parfois. Il est aussi un peu le Joker, s’amusant du ramdam qu’il suscite, mais exécutant un plan précis que l’on découvrira bien assez tôt. On est fascinés, ou épouvantés. On l’aime, ou on le déteste. À lui tout seul, il résume l’Amérique : Hollywood et la Silicon Valley.
Musk est un homme aux doigts d’argent, réussissant tout ce qu’il entreprend. Il imagine, il rêve, et il fait. Rien que pour cela, il est déjà détestable à nos yeux d’Européens. Il crée la voiture électrique alors que nous sommes, nous, les constructeurs historiques. Il construit des fusées pour Mars, et nous admirons la Lune. Il installe ses satellites autour de la planète, nous tardons à conquérir le ciel. Il navigue à d’autres hauteurs, il nous échappe. Il nous nargue, il est américain.
On s’inquiète, avec raison, de ce que ce libertarien convaincu va laisser publier sur Twitter, et ce que cela impliquera d’effets délétères sur le débat public et le marché des opinions. Nous nous focalisons sur le danger immédiat. Et la préoccupation est vertueuse, car le réseau a déjà montré son influence sur la perception de la vérité et l’exercice démocratique.
Nous devrions nous interroger sur le long terme aussi. Car Twitter est le tremplin pour un projet encore plus grand.
Comme barder le réseau de fonctionnalités infinies, en faire l’application universelle, où publier sa petite opinion ne sera qu’une fonction parmi d’autres, de quoi satisfaire notre ego. En revanche, on pourrait y jouer, acheter, payer, du sérieux quoi, autrement rémunérateur. Et pour que cela marche, il faut que tout le monde y participe, quels que soient ses amis, ses amours, ses emmerdes. Les méchants sont donc invités à y être. Trump y sera bienvenu.
Un univers clos, un écosystème disent les économistes, un nouveau monde englobant, embrassant, étouffant, que les Chinois connaissent déjà. On y entre, on n’en sort pas, on ne s’en sort plus.
On ne voit que lui, mais il n’est pas tout seul. Le Pentagone et la NASA travaillent à ses côtés. Des équipes d’ingénieurs assurent l’intendance. Pas si fou le Joker. Faut-il s’en inquiéter aussi ? Ou se réjouir qu’un Américain fera pièce aux Chinois ? Trop tôt pour arrêter son avis.
C’est une vision du monde que Musk a en tête. Et la politique ne peut en être absente. À preuve, le trublion a déjà tâté l’exercice. Il soutient les Ukrainiens en mettant son réseau de satellites Starlink à leur disposition. Puis il hésite, il ne veut plus, puis, il veut de nouveau. Il aurait échangé subrepticement avec Poutine pour proposer un plan de paix scabreux.
Ce Musk-là qui leur fait un pied de nez, des grimaces, et des pas de deux, ne leur dit rien de bon. Les compagnies savent qu’elles aussi sont mortelles.
Faire la paix ou faire la guerre n’est pas à la portée du premier venu, si puissant soit-il. La diplomatie est un univers dont il ignore les règles et que les algorithmes ne contrôlent pas encore. L’homme le plus riche de la planète peut-il être le maître du monde ? La richesse hors norme lui donne-t-elle naturellement un pouvoir sans limites ? Pas sûr. Si certains s’interrogent sur son ambition de se présenter à la présidence des États-Unis, ils peuvent se rassurer : Musk viserait plutôt la présidence du monde.
En attendant, il se pourrait bien que l’entrepreneur réussisse, une fois de plus, là où d’autres ont échoué. Il a viré la moitié des employés de Twitter. Mais beaucoup de compagnies de la Silicon préparent des réductions d’effectifs. La baisse des revenus de la publicité les y pousse. Mais les effectifs sont souvent pléthoriques, destinés à capter les cerveaux, à épuiser le marché, à priver la concurrence. Tous les ingénieurs ne délivrent pas des kilomètres de codes. Dans la Valley industrieuse, on pantoufle aussi parfois.
Les géants du numérique s’inquiètent, s’interrogent. Ils observent avec impatience le bout du pipeline de leurs innovations. Ce Musk-là qui leur fait un pied de nez, des grimaces, et des pas de deux, ne leur dit rien de bon. Les compagnies savent qu’elles aussi sont mortelles. Le Joker éclate de rire. On l’entend jusqu’ici.